Inceste, mafia, mort… L’auteur-metteur en scène sicilienne raconte des histoires de famille tourmentées. Et bouscule les tabous. Deux mèches très blondes sur chevelure très brune, treillis noirs et décolleté tonitruant, Emma Dante n’a pas le profil d’une jeune femme éthérée. Rien de très étonnant au regard de ses pièces: quand l’auteur-metteur en scène croque les familles palermitaines, elle ne fait pas dans la dentelle. Elle tranche sans détour dans les chairs, avec une franche tendresse, jusqu’au noeud de non-dits, d’archaïsmes et de codes de l’honneur qui emberlificotent les relations pères, mères, frères et soeurs. Dans le “monde du sous-prolétariat, mal élevé, vulgaire, sincère”, parce que les relations y sont plus passionnelles, viscérales. Ca lui a manqué – elle a grandit dans une de ces familles bourgeoises qu’elle trouve peu intéressantes pour son théâtre – et elle se rattrape. Se revendique elle-même vulgaire. Elle était « plus polie » entre Rome, Turin et Milan, qu’elle a arpentés dis ans dans une peau de comédienne, après passage en académique conservatoire. A l’entendre, elle n’y faisait rien de bon. La mort qui rôdait, un échec amoureux et une violente crise de la trentaine la ramènent à Palerme. “C’était soit je me suicide, soit je renais”. Elle est toujours là. Un peu grâce à un ami, responsable d’une association culturelle en hibernation, qu’elle a réactivée, la main presque forcée, via un laboratoire de théâtre. “J’ai accueilli une quarantaine de personnes en faisant mine de savoir ce que je faisais, comme si un jour il y aurait à manger pour tout le monde. Je les ai fait marcher d’avant en arrière, sans arrêt, sans chaussures. Au bout d’un mois, il en est resté trois”. Le noyau de sa compagnie Sud Costa Occidentale. En 2001, ils montent mPalermu, histoire d’une famille qui marche sans avancer, bloquée sur le seuil de sa maison ; ce qui ne l’empêche pas de vivre, entre gravité et hystérie, de rixes en effusions. Le langage d’Emma Dante vient d’apparaître, mélange de dialecte palermitain musicalement revisité et de gestuelles jusqu’au-boutistes, Emma Dante a le théâtre douloureux, tourmenté. Mais elle y trouve quelque chose d’égoïstement salvateur. Une opportunité de “dire des choses incorrectes, de raconter une liberté de la pensée d’un individu en donnant aussi le pire”. De bousculer les préjugés en général et ses propres tabous en particulier.

L’épidermique Mishelle di Sant’Oliva caresse celui de l’homosexualité, dans le refus obstiné d’un père à regarder son fils, qui se travestit en emprunte le nom de la mère déserteuse et idolâtrée, pour faire le tapin. L’inceste, la culture mafieuse, et la religiosité ne sont jamais bien loin. Comme la mort, qui traverse Vita mia sans laisser sa place au mort : un des trois rejetons d’une mère, que, par dénégation, elle nous force à voir vivant. “Si un comédien pointe un pistolet sur la tempe d’un autre, tu t’attends à quoi? A le voir chanceler et tomber? Et t’as payé un billet pour voir ça.”

 

Cathy Blisson